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C'est un peu en sursaut que Miki se réveilla en pleine après-midi. Elle s'était lamentablement endormie devant une émission complètement débile qui passait à la télé. En même temps quand l'on passe les trois quarts de la nuit en boite de nuit à faire la fête, on ne pense qu'à une seule chose, se recoucher. Et il est fort probable que la jeune fille aurait bien roupillé jusqu'en fin de journée si un vacarme phénoménale provenant de l'extérieur ne l'avait pas tiré de force de son sommeil. Et pour tout avouer, il fallait le faire pour réussir à la réveiller. Elle ouvrit un œil qu'elle referma presque aussitôt, agressée par la lumière du Soleil. Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes, bien trop courtes à ses yeux, qu'elle décida enfin de se lever, manquant presque de se casser la figure par la même occasion. Elle fut tout de même légèrement soulagée de voir que le sublime mal de crâne avec lequel elle s'était levée le matin même avait quasiment disparu. C'était déjà ça. Miki se dirigea un peu au radar vers la cuisine, ouvrit son frigo pour le refermer aussitôt. Elle venait de se rendre compte qu'elle n'avait absolument pas faim. Étonnant quand on la connaissait. Elle pouvait manger un buffet entier en temps normal tellement son estomac pouvait contenir une quantité phénoménale de bouffe en même temps. Quand on ne prend pas un gramme, on peut en profiter. Comme quoi faire trop d'excès la nuit pouvait apporter un joli bordel là dedans. Là sur le coup, elle marchait un peu au ralenti et son cerveau avait pris la même cadence également et elle n'aimait pas vraiment ça. Il fallait qu'elle sorte de sa léthargie assez rapidement et ce n'était certainement pas en restant chez elle qu'elle le pourrait, ça c'était sûr. Elle attrapa son paquet de clope et son portable, enfila rapidement ses chaussures avant de sortir de son appartement. Maintenant il ne lui restait plus qu'à savoir qu'allait-elle faire en ce milieu d''après-midi. Il ne faisait pas spécialement beau mais tout de même assez lourd. Pas vraiment un temps que l'on pourrait qualifier d'idéal à vrai dire... C'est donc d'un pas lent que Miki se mit un peu à marcher, quoique le terme errer serait peut être même plus approprié, dans les ruelles bien peu peuplés pour une après-midi d'été. Elle jeta un vague coup d'œil à son portable pour regarder l'heure. 15h32, elle pouvait prendre tout son temps, de toute façon elle n'avait rien à faire et personne ne l'attendait, qui plus est, elle ne travaillait pas non plus. Elle marcha sans but précis pendant un long moment avant de se rendre compte qu'elle n'avait absolument aucune idée de l'endroit où elle avait fini par atterrir. Cela faisait certes un certain petit moment qu'elle était installée au Japon maintenant, mais tout de même pas assez pour connaître tout les quartiers et les rues comme sa poche. Elle le faisait en Chine, mais là ça risquait d'être difficile. C'était certain, elle n'avait encore jamais mis les pieds dans cet endroit. Le décor était beaucoup plus ancien et structuré et la population qu'elle croisait se faisait beaucoup plus âgé que précédemment. Elle tourna un peu sur elle-même histoire d'essayer de se repérer bien qu'elle sache pertinemment que c'était inutile. Elle avait atterri dans le quartier culturel ou quoi ? Miki passa rapidement une main dans ses cheveux avant de se dire que c'était une bonne occasion pour visiter les endroits qu'elle ne connaissait pas encore après tout. Elle du marcher pendant au moins cinq bonnes minutes avant d'atterrir sur une grande place où se trouvait juste en face un énorme temple comme on en trouvait uniquement dans ce pays. Croisant ses bras derrière la tête en prenant une pose nonchalante, elle réfléchit quelque seconde. Est-ce qu'elle y allait ou non. Prier ce n'était pas vraiment son truc, et elle n'était pas non plus ultra croyante bien que l'on lui avait appris à être très porter sur les coutumes du pays qui était tout de même le sien, même si la jeune femme n'y est pas vraiment vécu. Elle balaya vaguement du regard la vue devant elle avant de commencer doucement à avancer vers le bâtiment où quelques vieillards étaient en train de se recueillir. Miki s'arrêta à une distance raisonnable et alla se poser sur un banc assez en recul. Elle sortit son paquet de cigarette pour en porter une à ses lèvres qu'elle alluma par la suite. Tirant une latte dessus puis recrachant la fumée, elle observait et dévisageait les moindres faits et gestes des personnes présentes. Mais ses pensées divaguèrent rapidement vers une certaine personne qu'elle ne voulait que revoir. A vrai dire, elle ne savait pas vraiment comment elle allait s'y prendre. Si elle allait lui dire qu'elle était également au Japon ou bien si elle allait essayer de lui tomber dessus pour créer un espèce d'effet de surprise. Seulement, la deuxième option lui paraissait beaucoup plus alléchante, mais elle ne voyait pas vraiment comment elle pourrait bien s'y prendre sans qu'il puisse suspecter quelque chose. Ça n'allait pas vraiment être facile. En reportant une nouvelle fois sa cigarette à ses lèvres elle soupira légèrement. Elle aurait bien le temps d'y penser de toute manière. Il devait certainement être assez occupé aussi. Seulement, la jeune Miki était loin de se douter que leur retrouvailles allait se faire bien lui plus tôt qu'elle ne l'aurait imaginé...

Spoiler:


« Ça fait combien de temps que vous fumez ? »
« … longtemps. »

Le médecin poussa un énième soupir, lassé mes phrases si courtes. Je ne suis de loin pas quelqu’un de bavard, et ce, depuis toujours. Le simple fait de me présenter dans un hôpital en presque urgence me blasait et me faisait me refermer sur moi-même comme une huître. Ça ne me plaisait de loin pas qu’on s’intéresse à moi -de près ou de loin- et ce vieil homme presque chauve pour lequel je n’avais jamais eu aucune sympathie commençait sérieusement à me taper sur le système. Depuis mon arrivée au Japon, j’avais vraiment progressé en japonais même si mon parlé n’était pas encore parfait. Quand l’homme qui me dévisageait comme si j’étais fou m’avait annoncé d’une voix grave que la cigarette m’avait ramené un splendide cancer, j’avais beau avoir parfaitement compris ses paroles, je n’avais pas réagit d’un poil. Après tout, je m’y attendait, et sincèrement, j’avais toujours su qu’aucune autre échappatoire ne s’offrirait à moi vu toutes les clopes que alignais chaque jour sans plus savoir les compter. Ça devait presque faire huit ans que je fumais presque tout au long de la journée, et il ne m’était jamais venu l’idée d’arrêter, ne serait-ce que pour ma propre santé. Passer la majorité de mon temps en boîte ou dans un bar n’aidait en rien, là-bas, tout le monde se promène avec un paquet de cigarette au fond de la poche et tout le monde se passe la presque drogue à la demande. Peut-être suis-je dépressif ? Peut-être que la raison à cet acharnement pour fumer était là ? Ma vie n’avait rien de simple sans être vraiment invivable, j’aurais pu en avoir de nombreuses raisons. Et pourtant non, je ne me sentais pas particulièrement malheureux tout en sachant que je n’étais pas du tout bien dans ma vie. La Chine me manquait énormément, les gens, la vie, Beijing… tout me manquait, sauf la famille. Je ne voulais jamais avoir à les revoir, quelle que soit la situation, et ce, même si tout à coup ils se mettaient à accepter mes attirances. Car oui, là était tout le problème, et je n’arrêterai jamais de leur en vouloir de tout mon corps. Je suis rancunier.

Le médecin passa toute l’heure à m’expliquer les nombreux traitements qui s’offraient à moi, leurs effets, les opérations, les précautions à prendre que je ne prendrai évidemment jamais. Lorsqu’il eut enfin terminé son blablatage que je n’avais pas écouté du tout, je me levai silencieusement, fit mine d’avoir tout compris puis promis de le rappeler prochainement. Pas l’intention de le faire, mais en donner la pauvre illusion ne serait-ce qu’un temps me laisserait en paix un maximum de temps, songeai-je. L’homme devait sans doute se méfier de moi, et me donna un rendez-vous pour la semaine suivante en ignorant mes protestations. Et non, ça ne me perturbait pas plus que ça d’être malade. Après tout, on m’avait dit que je n’en était pas dans un cas extrême, alors pas de quoi s’inquiéter pour l’instant. Je préférais rester insouciant encore un peu, du moins jusqu’à ce que je tousse à nouveau quelques gouttes de sang. C’était précisément pour cette raison qu’un ami à moi m’avait emmené en urgence ici, malgré tous mes cris et mes menaces de mort immédiates s’il m’y amenait réellement. Et oui, ce pauvre gars allait vraiment y passer, j’allais se venger d’une façon certainement horrible et il s’en souviendrait tout du long de sa vie. En sortant, la vie reprit sa cadence habituelle, à un détail près. J’avais vu ce matin même sur mon calendrier qu’aujourd’hui était la date de la mort de mon grand-père. N’ayant jamais été sentimental, ceci ne m’empêchait pourtant pas d’avoir envie de me recueillir mentalement pour sa mémoire. Cet aïeul avait été le premier au courant de mon homosexualité et le seul à l’avoir accepté, ce qui lui avait valu ma reconnaissance éternelle une fois mort. Incapable d’éprouver une grande affection, même pour un membre de ma famille s’étant rangé de son côté, son décès ne s’était pas présenté comme un gros drame à mes yeux, mais j’avais bien vite compris qu’un allié très précieux pour moi venait de disparaître.
C’est donc pourquoi je se dirigeai lentement jusqu’au temple, les mains dans les poches et… la clope au bec, la dernière du paquet. Au retour, j’en rachèterai, aucun doute. Le temple ne se trouvait pas très loin de l’hôpital, et j’eus vite fait d’y arriver, croisant de nombreuses personnes âgées en kimono. Il était vrai que de nos temps, les jeunes allaient de moins en moins prier, ou en tout cas, il ne se déplaçaient plus pour ça, se contentant principalement de l’autel présent dans chaque maison japonaise. En Chine, nous, les Wu, avions coutume d’aller prier très régulièrement, même si le jeune fils que j’étais n’en avait strictement rien à faire. Il n’y avait vraiment que pour ce grand-père que je prenais la peine, chaque année, d’aller faire une offrande et de brûler un peu d’encens tout en lui envoyant quelques pensées de remerciement pour sa compréhension. Mon recueillement ne dura pas très longtemps, les temples m’avaient toujours embarrassés, les dieux portaient un regard sur mon corps, et ce regard devait certainement être plein de reproches. Il n’y avait que ça à faire à mon propos, et cette idée ne m’encourageait pas tant à y aller. Bien je ne sois pas porté à fond sur la religion, comme tout un chacun, l’idée d’être jugé négativement n’était pas agréable et j’essayais de faire au plus vite une fois dans un lieu de culte pour ne pas me sentir trop mal à l’aise.
À peine sorti, ma première pensée fut pour mon paquet de cigarettes vide. Je balayai l’espace devant le temple presque vide avant que mon regard ne se heurte à une fine silhouette me tournant le dos depuis laquelle je pouvais voir une mince cordelette de fumée s’échapper. Je me réveillai d’un coup, redressant rapidement la tête pour soudainement accélérer mon pas en me passant une main dans les cheveux.

« Toi là-bas ! File-moi une clope ! »

Désolée, c'est très médiocre e.e Je me rattraperai !

Cigarette à la bouche et portable en main, Miki était en train de lire le message que sa mère venait de lui envoyer lui disant qu'il n'était pas la peine de passer ce soir comme c'était prévue, elle n'était pas là. Elle lui envoya une rapide réponse indiquant qu'elle avait bien reçue l'information et qu'elle irait lui rendre visite un peu plus tard dans la semaine. Bizarrement, elle trouvait qu'elle était beaucoup absente en ce moment. Elle s'était peut être trouvée un autre homme après tout. Et ça ne l'étonnerait pas plus que ça qu'elle n'ait pas tenu au courant sa propre fille. Peur de sa réaction sans doute. Mais si c'était réellement le cas, cela la contrarierait légèrement de ne pas être tenue dans le secret. Ce n'était pas un crime non plus, et sur le coup elle se demandait quelle tête ce type pourrait bien avoir. Quoiqu'il était également fort possible que la raison était toute autre et qu'elle se faisait des magnifiques films. Ça l'occupait deux minutes en quelque sorte...

Miki tira un nouvelle latte sur sa cigarette repliant les jambes en tailleur. Parti comme cela l'était, elle allait bien vite finir par s'ennuyer, griller toutes les clopes que son paquet pouvait encore contenir et si elle ne trouvait rien de mieux à faire que de contempler les passants, pourquoi pas s'endormir sur le banc. Un léger soupir accompagné de fumée s'échappa des lèvres de la jeune femme. Pourtant des activités ce n'était pas ce qui manquait dans la capitale, mais lorsque rien ne vous tente et que vous avez une flemme assez vertigineuse d'entreprendre quoique se soit, vous êtes bien embêté. Et c'était son cas. Miki jeta un vague regard sur la fin de sa cigarette avant de tirer les dernières bouffés et de jeter le mégot un peu plus loin. A peine fit-elle se geste qu'une voix provenant de derrière s'éleva, et puisqu'il n'y avait qu'elle qui était en train de fumer ici et qu'elle voyait plus ou moins son ombre se rapprocher dangereusement de sa personne, il ne lui fallait pas vraiment beaucoup de temps pour comprendre que c'était effectivement à elle qu'il s'adressait:

« Toi là-bas ! File-moi une clope ! »

Miki arqua un léger sourcil observant par réflexe la poche de son jean où se trouvait le fameux paquet. Si c'était vraiment à elle qu'il s'adressait elle espérait qu'il était fou... ou un peu trop naïf. L'argent ne tombait pas du ciel, les clopes encore moins et c'était limite si elle ne se mettait pas à compter le nombre qu'il lui resterait jusqu'à la fin de la journée à la vitesse où elle les enchainait. Non décidément, c'était vraiment trop précieux pour se voir les distribuer à tout le monde et qui plus est à des inconnus sortie de nulle part et n'adressant ne serait-ce pas une once de politesse en début de phrase. Lui elle allait gentiment l'envoyer péter dès qu'il aurait la charmante idée de se pointer juste en face d'elle. Elle fixait cette ombre qui ne faisait que de s'agrandir au fur et à mesure qu'elle s'approchait et lorsqu'elle pu voir son pantalon dans son champs de vision elle lança tout en levant les yeux:

« Si tu crois que j'vais te filer une clope comme ça, tu peux toujours rêv... »

… rêver. Miki venait de relever les yeux vers son interlocuteur. Fameuse personne qui lui disait vaguement quelque chose, oui c'était ça, la parfaite copie conforme de celui qu'elle considérait comme son grand frère. Il aurait pu la prévenir qu'il avait des fans se faisant passer pour lui. Non? Bon d'accord. On reprend tout et on recommence. En réalité la jeune femme était passée en mode bug et avait légèrement du mal à se reconnecter puisque trop occupée à dévisager la personne en face d'elle. Exactement les mêmes traits, peut être un peu plus fatiguée mais ça ne l'étonnait pas vu le train de vie qu'il menait, un peu comme elle... en pire. Il avait grandi. En même temps cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vu, trop longtemps. Toujours aussi maigre, toujours le même look, et cette façon qu'il avait de parler, oui en fait il n'y avait pas à se poser la question. Le dit étranger qui se trouvait devant elle n'était autre que Chu Jung dont elle se demandait encore il y a peu comment elle allait faire pour le voir et comment elle allait programmer tout ça. Oui, à vrai dire le fait qu'elle se retrouver nez à nez avec lui là, maintenant, tout de suite, elle n'y avait pas vraiment songé et encore moins envisagée.

La tête qu'était en train de tirer Miki? Aucune à vrai dire, si ce n'était qu'elle était limite figée sur place par la surprise la bouche légèrement entrouverte coupée dans son élan de tout à l'heure. Là sur le coup, elle se demandait comment elle n'avait pas pu le reconnaître au son de sa voix. Elle l'avait toujours fait. Et la réponse lui parut presque évidente. Ils s'étaient toujours parlés en chinois, et c'était bien l'une des rares occasions où elle venait de l'entendre parler japonais. Ça devait être ça. Oui c'était forcément ça. Miki ouvrit un peu plus la bouche pour sortir.. aucun son. Elle n'arrivait surtout pas à aligner un mot l'effet de surprise toujours omniprésent dans la tête. En même temps, vous étiez prêt à envoyer péter un inconnu qui vous ordonne de lui donner des clopes, et cet inconnu n'est autre que la personne qu'elle cherche. Ici, dans les temples. Alors que Tokyo, c'est... grand, très grand. Après quelques instants de silence elle réussit enfin à sortir un mot:

« … Chu' ? »

Bien, Miki, très perspicace dis donc. Elle avait compris qui était en face d'elle, et visiblement, n'y croyant toujours pas il lui fallait une confirmation de la part du concerné lui même. Décidément, il lui en fallait du temps. Puis après quelques secondes, elle eut un espèce de déclic. Si elle se serait trouvé dans un drama, une lanterne serait apparu soudainement au dessus de sa tête afin de montrer qu'elle avait compris. Un grand sourire s'afficha sur le visage de la jeune femme avant qu'elle ne lâche un énorme :

« Chuuuuuuuuuuu »

Accompagnant ses magnifiques phrases très construites elle se jeta au coup du chinois manquant de le faire tomber à la renverse. Bien qu'elle ne soit certainement pas bien lourde, on ne pouvait pas dire que le jeune homme l'était également et il eut bien du mal à la réceptionner sur le coup. Oui, il n'y avait pas à dire, il lui avait manqué, énormément manqué. Et bien qu'ils soient restés en contact par le biais des téléphones ou d'internet, ça n'avait en rien comblé le manque. Se détachant peu à peu de lui, toujours son sourire collé aux lèvres, elle sorti son paquet de cigarette de sa poche avant d'en prendre deux et d'en porter une à sa bouche avant de l'allumer rapidement. Puis elle lui tendit son propre briquet ainsi que la deuxième clope. Si elle s'était imaginée ce matin même en se levant qu'elle lui tomberait dessus en se perdant dans les rues de Tokyo...

Cigarette, cigarette, cigarette. Ce temple m’avait vidé, sans doute une vengeance des dieux, il m’avait vidé d’un peu tout le peu d’énergie qui s’accrochait avec difficultés à mes os, et il me fallait absolument une bonne clope pour me redonner de la force. Évidemment, pensant sans doute au sacrilège ou à l’offense envers une quelconque puissance céleste pouvant ne pas apprécier l’odeur ou le simple fait de fumer, trouver quelqu’un armé d’un paquet se trouverait être une tâche des plus ardues. Surtout quand l’endroit où on se trouve est presque désert ou que les rares visiteurs soient un couple de touristes parlant une langue m’étant inconnue ou quelques petits vieux n’ayant certainement jamais fumé de leur vie. Que ce mince halo de fumée droit devant moi, partant exactement de la masse d’une jeune femme,-selon ce que je pouvais voir de mes yeux perçants- se soit jeté à mes yeux fut une véritable aubaine pour moi. Certes, pour ne pas changer, j’avais omis la politesse en m’adressant à elle de manière presque agressive et passant au ton de l’ordre sans attendre, mais pour une histoire de cigarette, je n’estimais pas avoir besoin d’en faire plus. Entre fumeurs, faut se serrer les coudes. C’est moi qui dit ça, mais à moins de connaître très bien l’autre personne, je ne passerais pas non plus une seules de mes précieuses Malboro pour la simple raison qu’on me le demande. Soit, passons, on ne parle pas de ma générosité personnelle, mais celle d’une inconnue qui allait évidemment me céder au risque que je ne me fasse exécrable.
Elle n’avait pas encore levé les yeux et me refusait déjà mon ordre. J’ordonnais, je ne demandais pas, elle avait plutôt fermement intérêt à s’exécuter, ne serait-ce que pour sa santé mentale. Sa voix me disait vaguement quelque chose, mais après tout, les japonaises ont toutes cette petite pointe aigue dans leur façon de parler, alors je ne m’y attardai pas, la toisant méchamment du regard des pieds à la tête. Ciel, ce qu’elle ressemblait, à première vue, à une très ancienne connaissance que j’avais en Chine, cette fille ! Même sans en voir le visage, on aurait dit son sosie. Sur le moment, ce fait me perturba quelques peu et l’espace de deux petites secondes mes sourcils se défroncèrent en une mine légèrement étonnée. Je repris bien vite ma mimique énervée. Comment ça, « je rêvais » ? Mais c’était elle qui rêvait, ouais ! J’étais même prêt à lui arracher sa cigarette actuelle des mains tant j’étais en manque, alors elle risquait plutôt le cauchemar, là. Tiens, elle leva les yeux vers moi pour terminer sa phrase et je me préparai à soutenir son regard. Un ange passa. Mes paupières s’écarquillèrent de surprise, j’en desserrai même les poings -ouais, la frustration m’avait amené à les serrer comme si j’étais prêt à me battre-. Mais merde, c’était réellement cette vielle connaissance, Miki. Quelques secondes à nous observer l’un l’autre, chacun trop choqué pour dire quoi que ce soit, je papillonnai des yeux comme pour les nettoyer et me laisser voir son vrai visage. Je savais qu’elle était revenue à Tokyo, nous avions conversé via le téléphone ou internet, mais je ne me serais jamais douté que j’allais lui tomber dessus par un pur hasard, surtout dans un lieu tel que celui-ci. Cette ville était immense, que nous nous tombions dessus de la sorte relevait tout simplement du miracle, ou d’une intervention des dieux à notre égard. Je me demandais bien pour quelle raison ils avaient l’envie farfelue d’orchestrer nos retrouvailles, mais je n’eus pas le temps de pousser ma réflexion plus loin qu’elle me sauta au cou en hurlant presque mon prénom. Je la laissai m’étreindre sans bouger d’un poil, pas très friand de câlin, puis échappai tout de même quelques paroles confuses.

« Oh la vache… putaiiiiiiin… t’es… grande, merde ! »

Très constructif, je sais, mais il était impressionnant de voir à quel point elle avait effectivement gagné en centimètres. Ça m’avait manqué de ne plus parler chinois, et emprunter ma langue d’origine m’était venu tout naturellement face à elle. Pour la première fois depuis un bail, je pouvais être parfaitement sûr de m’exprimer correctement. Je la chopai par les joues et me mis à la tripatouiller dans tous les sens et à la regarder sous tous les angles en la faisant tourner sur elle-même. À lui faire ouvrir la bouche sans raison apparente, à déplacer ses cheveux pour regarder si ses oreilles étaient percées comme avant ou encore à lui remonter sa manche jusqu’à l’épaule pour voir si son tatouage n’avait pas bougé de place. Et oui, même face à une retrouvaille des plus émouvante et évidente, j’avais encore du mal à être totalement sûr qu’il s’agissait bien d’elle. Ayant terminé mes recherches de preuves, je la lâchai finalement avec les lèvres très serrées, sans un mot, la laissant déballer son paquet de clopes. D’un coup, une lumière s’alluma dans mon cerveau et un immense sourire à faire peur s’étala sur mon visage pendant qu’elle sortait une clope, puis une seconde, je lançai stupidement un regard incompréhensif au temple. C’était quoi ça ? Un moyen pour m’empêcher de déprimer ou pour me faire plaisir ? Hein ?
La cigarette au bec enfin allumée, j’en aspirai une énorme bouffée en fermant les yeux, lui adressant un petit hochement de tête silencieux pour la remercier. Je n’étais pas hystérique de la retrouver, je savais encore me contrôler et conserver ma classe hors du commun des mortels, mais il va sans dire que j’étais bien heureux tout de même. Après avoir rempli mes poumons malades de fumée, je tournai légèrement la tête pour l’expirer en soupirant longuement. Ouais, il arrive que je recrache la brume dans la tête des gens, mais comme Miki avait la chance d’être une personne que je respectais énormément, elle échappa à ce sort. Un petit coup dans l’air pour faire tomber les petits millimètres de tabac s’étant consommés, puis je rouvris les yeux pour la regarder, avant de m’assoir sur un vieux tabouret en bois traînant par là.

« Nom de D*eu qu’est-ce que tu fiches ici ? »

Elle me connaissait suffisamment pour savoir que malgré mes termes assez durs, j’étais content de la voir. Qu’elle me pose des questions si elle le veut, je voulais d’abord qu’elle réponde aux miennes et ensuite je prendrai le temps de lui rendre l’appareil. Et non, en deux ans je n’avais pas changé suffisamment pour refaire toutes mes manières et me mettre soudainement à être poli et tout et tout, même si je n’avais de toutes manières pas trop besoin de me forcer pour être sympa avec elle. C’était tout de même une sacré privilégiée, une des rares personnes qui me soutiraient de l’affection et parfois même quelques sourires sincères. Par contre, sa présence dans un temple m’intriguait particulièrement. À vrai dire, je la savais comme moi pas forcément très intéressée par la religion sans pour autant la négliger entièrement, et je me demandais ce qu’elle pouvait venir faire ici. Prier ? Faire une offrande ? Ou tout simplement, s’être perdue et avoir débouché ici par hasard. Je plissai légèrement les yeux vers elle. Vraiment, on se ressemblait beaucoup. Certes, elle était une fille et moi un mec, mais tout de même. Tout deux, nous étions fins comme des brins d’herbe, taillés comme des cure-dents. Coiffure déstructurée et colorisée, allure androgyne par un look des meilleurs goûts… mon moi féminin, quoi.

Et de une ! XD

Miki c'était vue plusieurs fois adresser de sublimes regards noirs de la part de vieilles femmes sortant des temples à la vue de la cigarette qu'elle tenait entre ses doigts, regards qu'elle a bien évidemment complètement zappé puisqu'elle n'en avait strictement rien à faire. Elle n'allait certainement pas bouger ses fesses pour aller fumer ailleurs pour le petit plaisirs des croyantes. Seulement, lorsqu'elle saurait qu'à peine quelques minutes plus tard elle allait tombée sur Chu Jung, à cet endroit, en lui réclamant une clope elle ferait désormais en sorte de se perdre plus souvent dans le rues de Tokyo si des surprises pareilles lui tombait dessus. On ne pouvait pas dire qu'elle était quelqu'un très à cheval sur les tout ce qui touche à la religion, priant tout les jours ou des choses dans ce genre là pour que les dieux décident eux en revanche, de lui offrir des retrouvailles plus qu'inattendus. Le hasard faisait bien les choses, ça devait sans doute être ça...

Revenons à la situation qui était en train de se dérouler auprès de la jeune femme. On lui avait « gentiment » réclamé une cigarette, elle s'apprêtait à envoyer péter royalement son interlocuteur mais manque de chance elle ne put terminer sa phrase puisque cette fameuse personne n'était autre que son Chu Jung qui avait quitté la Chine il y a plusieurs années de ça et qu'elle ne souhaitait que revoir. Ce fut chose faite. Puisqu'une fois qu'elle réalisa que c'était bien lui et non pas une quelconque personne qui aurait des airs de ressemblances avec lui, elle se jeta à son cou presque en criant son nom. Ce qui ne manqua pas au passage de s'attirer une nouvelle fois les regards noirs des passants qui devaient se demander comment pouvait-elle oser faire un boucan pareil dans un lieu sacré à leurs yeux. Seulement, elle n'en avait que faire puisque son regard et toute son attention était désormais porté vers une seule et unique personne.

« Oh la vache… putaiiiiiiin… t’es… grande, merde ! »

Elle ne put s'empêcher de sourire. C'est vrai que quand il était parti, elle était petite, beaucoup plus petite que lui, et la différence de taille entre ses deux là étaient bien plus que flagrantes. Seulement ce n'était plus vraiment le cas maintenant. Elle avait eu une poussée de croissance presque incroyable en quelques mois, qui avait surpris bien plus d'une personne. Maintenant, elle était grande, presque aussi grande que lui bien qu'il lui manquait encore quelques centimètres pour pouvoir être au même niveau. Lorsqu'il se mit à parler chinois, elle n'avait plus aucun doute, sa voix était toujours la même, quoiqu'un poil plus grave, et c'était certainement le fait qu'il parle japonais qui ne lui avait pas mis la puce à l'oreille. Une fois qu'elle se détacha de lui, oui car si ça continuait elle aurait presque été capable de l'étouffer tellement elle était heureuse de le revoir, il se mit à la dévisager comme une enfant. Et c'est parti que je te choppe les joues, que je te fais tourner sur place. En temps normal elle lui aurait sorti une remarque du genre qu'elle était pas une poupée ou une gamine histoire de l'embêter un peu, mais il y avait des circonstances atténuantes aujourd'hui: ils ne s'étaient pas vu depuis longtemps, trop longtemps. Elle fut tout de même surprise qu'il aille jusqu'à lui soulever les manches de son haut pour voir si elle possédait toujours ses fameux tatouages. Il doutait encore que c'était bien elle devant lui ? Pourtant on ne peut pas dire que des filles dans son genre ça courait les rues, quoique des mecs comme lui non plus. Après lui avoir filé une clope, et tiré sur la sienne elle releva les yeux vers lui le dévisageant silencieusement. Il n'avait vraiment pas changé de son côté. Et il était bien le seul qui bénéficiait d'un quelconque don de cigarettes. En donner aux autres en temps normal, certainement pas. C'était bien trop précieux et cela coutait bien trop cher. Mais Chu Jung était un privilégié. La preuve en est, elle lui en avait offert une, ne s'attardant pas une seconde de plus sur le fait qu'il lui ait littéralement ordonné tout à l'heure, il ne savait pas que c'était elle et vice versa après tout. Lorsqu'elle le vit s'asseoir sur un tabouret non loin de là, elle se rassit sur son banc de telle sorte à lui faire face. Cela faisait tellement longtemps qu'elle ne l'avait pas vu qu'elle n'arrivait pas vraiment à le quitter des yeux.

« Nom de D*eu qu’est-ce que tu fiches ici ? »

Ah, qu'est-ce qu'elle faisait là... C'était une très bonne question et elle ne savait pas vraiment la réponse non plus. Enfin si, mais c'était un peu ridicule et ça n'avait pas tellement la classe. Miki se passa une main dans les cheveux et lui lança un léger sourire avant de porter sa cigarette à la bouche. Elle prit bien le temps de recracher la fumée avant de reporter son regard sur Chu Jung et de lui répondre d'un air un peu gêné sur le coup:

« Aha... On va dire que.. J'me suis un peu pommée . »

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas parler chinois, très longtemps et cela lui fit presque étrange sorti de sa bouche alors qu'elle avait vécu toute sa vie en Chine... Oui bon, elle n'était pas à Tokyo depuis assez de temps pour connaître le plan de la ville sur le bout de doigts, et puis c'était grâce à ça qu'elle l'avait retrouvé. D'ailleurs, elle était à peu près sure qu'il doutait qu'elle soit venue pour prier ou quelque chose dans le genre, il savait que ce n'était pas son délire car ce n'était pas le sien non plus. Ce qui venait à se demander qu'est-ce qu'il fichait ici lui aussi. Il se ressemblait vraiment, autant sur le plan caractériel que physique et tout les rituels sacrés leur passaient un peu au dessus la tête et ils se contentaient surtout du strict minimum. D'ailleurs on lui avait plusieurs fois demandé lors de leur cursus scolaire en Chine s'ils n'étaient pas frère et sœur des fois tellement certaines ressemblances étaient trop frappantes pour être négligées. Mais non, pourtant ce n'était pas le cas. Mais maintenant qu'il lui avait posé sa question, elle était tout aussi intriguée de savoir ce que lui également était venu faire ici, on ne pouvait pas dire que les temples étaient les lieux qu'ils fréquentaient le plus...

« Mais j'peux te retourner la question... C'est pas ton genre de venir ici non plus. »

Miki retira une nouvelle fois sur la clope en jetant un vague coup d'œil au temple sur le côté où sortait ce qui devait être toute une famille entière avant de reporter son regard sur Chu Jung qui tirait sur sa clope, attendant tranquillement sa réponse..