Longue journée, très longue journée ... et à mesure que les jours se rafraîchissaient, les journées paraissaient encore plus longues et étaient encore plus fatigantes, pour la jeune étudiante japonaise qui cumulait les petits jobs pour essayer de s'en sortir financièrement. On la retrouve alors à son travail du soir, Inori travaillait au cinéma Kurosawa de Ropponggi Hil. Un travail un petit peu ingrat, qui consistait surtout à balancer des grands sourires hypocrites à des clients en ramassant les saletés qu'ils mettaient par terre. Et en plus, il fallait être en uniforme : petite jupette noire, chemisier rouge et chaussures à talon haut. Très pratique pour ce genre de travail. Les employés qui s'en sortaient bien pouvaient espérer vendre des billets ou tenir la confiserie. Inori pour sa part, comme elle n'avait pas de chance en règle générale, et aussi pas autant de formes que ses autres collègues féminines se contentaient encore des aspirateurs, balais, et autres poubelles à sortir, toujours en jupette-chemisier-talon. C'était un travail éreintant, mais bien payé, et en bonus elle pouvait voir tous les films qu'elle voulait, autant de fois qu'elle le voulait, et elle ne se gênait pas des fois pour y emmener ses amies, surtout Kanna, même si celle-ci aurait pu se payer ses places sans problèmes. En fait, de sa collocation, Inori était la seule à avoir besoin de jobs, mais elle n'en tenait pas rigueur aux deux autres filles qu'elle appréciait réellement et faisait même tout pour se rendre utile à la maison, pour que ses études et ses baitos n'aient pas d'incidence sur la tenue de leur loft.

On était Samedi soir. C'était une soirée qu'elle détestait faire, car le public y était le plus pénible, le plus sale, le plus désagréable, et en plus la fatigue de la semaine s'accumulant rendait la tâche encore plus dure qu'elle ne l'était déjà. Elle savait déjà en partant qu'elle passerait son dimanche en pyjama à glandouiller sur son ordinateur et à manger du chocolat. En attendant, elle était derrière la porte d'une des plus petites salles du multiplexe à attendre que le film se termine, la sortie du public avec son petit aspirateur et son sac poubelle.
Une fois que les gens furent sortis, elle pénétra dans la salle, constatant le carnage des cadavres de pop corn, respira un grand coup.

- Yosha !

Et elle attaqua le travail. Ramasser les morceaux de maïs soufflé, décoller du caramel, gratter le chocolat fondu ... mon dieu, ce que les gens étaient sales ... surmontant son dégoût, à quatre pattes sur la moquette elle ramassait toutes les ordures qu'elle voyait. Heureusement, elle pouvait prendre son temps, c'était la dernière séance de la soirée, autrement, elle n'avait qu'un quart d'heure.

Elle avait fait moins de la moitié de la salle, elle avait enlevé ses talons pour etre plus à l'aise et relevé sa jupe pour être moins gênée quand sans se faire entendre derrière elle quelqu'un l'assena d'un compliment peu gratifiant pour une jeune fille bien élevée. Surprise elle se releva en baissant sa jupe jusqu'aux genoux.

- Ben ouais, tu sais qu't'es excitante ?

Elle ne chercha pas à en entendre plus et commença à s'éloigner en marche arrière, mais elle trébucha sur ses chaussures et tomba à la renverse à la merci de l'homme devant elle.

Elle eut le temps d'apercevoir qu'ils étaient trois avant de réaliser dans quelle situation elle se trouvait. Elle sentit l'angoisse lui saisir la gorge et l'empêcher de crier, de pleurer, de réagir en fait ... juste la tétaniser alors qu'ils s'approchaient d'elle de plus en plus. Jamais elle ne s'était retrouvée dans une telle situation, la plupart de ses collègues avaient quitté le lieu pour rentrer chez eux et elle se retrouvait donc quasiment toute seule face aux hommes qui avaient bien l'intention de profiter d'elle. Et elle, incapable de se défendre.
Sa réaction était peut-être exagérée, mais il fallait aussi connaître son histoire personnelle pour comprendre pourquoi elle se trouvait en état de stress à proximité d'hommes un peu plus vieux qu'elle et alors tout était limpide.
Elle entendait à peine les salaceries des hommes sur sa position et essayait de rassembler ses esprits. Elle avait une bombe lacrymogène dans son sac ... Si elle arrivait à l'atteindre, elle pourrait s'en servir et s'échapper. Alors elle se contenta juste de se redresser en poussant sur le sol avec ses mains et attrapa ses chaussures, prête à frapper avec.
Ce qui se passa ensuite fût très rapide ... Le jeune homme qui était devant elle tenta de la toucher ce qui eût juste pour effet de la tétaniser de nouveau ... mais une main salvatrice se tendit au dessus d'elle et arrêta celle de l'agresseur. Elle ne chercha pas à voir qui c'était, de toutes façons il lui faisait dos, mais sa voix chaude était rassurante. Cependant, les trois autres, malgré ses avertissement n'avaient pas l'intention de déguerpir et s'avancèrent même encore. Son sauveur lui envoya alors son poing dans la figure ce qui eût pour effet de déclencher une grosse bagarre entre les 4 hommes. Il finit d'en découdre et se retourna juste à ce moment là pour la relever. Elle le reconnut alors. Elle l'avait vu il y a peu dans ce même quartier alors qu'elle rentrait chez elle, et éprouva de nouveau cette sensation de douleur dans la poitrine, la même. Mais elle voyait aussi que l'un des autres ours était près à lui taper dessus.

- Derrière !

Le jeune homme se retourna, mais trop tard, il prit le poing de l'autre dans la mâchoire. Il allait répondre, quand Inori vit entrer le gardien du cinéma, qui faisait son tour avant de refermer toutes les salles. Elle couru vers lui, ses pieds nus sur la moquette moite ayant soudain retrouvé toute sa vigueur, et sûrement parce qu'il défendaient souvent les petites employées comme Ino-Chan qui étaient la cible des gens comme ça, et ces gens-là d'ailleurs, se tiraient comme des lâches, comprenant qui était l'aggressée, le gardien se lança à leur poursuite, laissant Ino-Chan seule avec le mystérieux jeune homme, ce qui l'angoissa de nouveau.
Elle l'avait déjà vu, il y a avait quelques jours, il y avait des hommes autour de lui, qui avaient caché des armes en la voyant arriver. Elle avait eu peur pour lui bien qu'il n'y eut pas de quoi ... et qu'elle essayait d'effacer de sa mémoire les revolvers qu'elle avait vu brièvement avant qu'ils ne soient dissimulés sous des manteaux. Elle ne savait pas ce qui lui avait pris ce jour là ... elle n'était pas du genre à se mêler de ce qui ne la regardait pas. Mais elle avait eu envie d'y aller, comme une impulsion, et maintenant, elle se retrouvait en émoi devant le jeune nippon qui saignait ... Elle se rapprocha de lui en prenant son sac au passage, dans lequel elle avait toujours des petits mouchoirs en papier. Elle lui en tendit un, un peu timidement, hésitant entre le remercier et s'excuser ... Elle se contenta juste de s'incliner, avant de remettre ses chaussures et d'enfiler une veste.

- Ano ... peut-être devrions-nous sortir ?

Il ne lui répondit pas, il passa devant elle, pour sortir, sans même prendre ce qu'elle lui proposait. Et en partant, c'est comme si sa main lui avait attrapé le coeur et le lui avait pressé. Elle l'avait mis dans l'embarras, elle s'en rendait bien compte, bien plus qu'elle même d'ailleurs, car en percevant son activité ce soir-là, elle avait appris des choses qu'elle ne devait pas savoir et qui pourraient lui jouer des tours, seulement, cela elle ne le savait pas encore. Pendant qu'elle regardait la sombre silhouette altière s'éloigner, des gens la cherchaient pour la faire taire. Elle ne savait pas grand chose, mais c'était suffisant pour ces hommes de l'ombre. Elle détourna le regard de la sortie par où s'était échappé l'homme et se sentit étrangement seule ... Pourtant, il lui arrivait souvent de se retrouver toute seule. Elle rassembla ses esprit et sortit elle aussi, se sentant plus seule encore maintenant que des dizaines de personnes marchaient autour d'elle et la bousculaient. Son regard cherchait sans qu'elle ne le veuille l'homme dans la foule. Et elle trouva la réponse en même temps qu'elle le trouva ... Il était le seul homme qui l'avait un jour sauvée, et auprès duquel, pour la première fois elle s'était sentie en sécurité, bien que paradoxalement, ce n'était pas à cet endroit qu'elle le serait le plus. Mais ne vous avais-je pas dit qu'elle était particulièrement douée pour se mettre dans de sales draps ? Les pulsations de son coeur lui rendirent ses jambes et elle accéléra le pas pour finalement, en jouant des coudes, se retrouver derrière lui. Mais elle n'osa pas l'appeler. Voilà Ino-Chan perdu dans le tourbillon émotionnel des sentiments. Loin de lui, elle serait à la limite de hurler son nom si elle le connaissait pour le retrouver, près de lui, elle ne voulait surtout pas se faire remarquer pour pouvoir l'observer à sa guise. Elle se contenta de le suivre alors, en faisant le moins de bruit possible, jusqu'à ce qu'il se retourne, l'ayant détectée, et qu'elle lui rentre dedans. Confuse et s'éloignant d'un pas, elle capta son regard, qui si sombre qu'il fût, la subjugua plus qu'autre chose.

- Vous comptez me suivre encore longtemps ?

Cette paroles vint rompre le rêve éveillé dans lequel elle se glissait tout doucement, et elle retrouva alors de sa contenance. Elle s'inclina simplement en signe de remerciement, devinant que le jeune homme ne voudrait pas qu'elle en fasse des tonnes, et au fond également un peu effrayée par ce qu'elle avait déjà pu voir.
Mais elle n'avait pas envie d'en rester là pour autant.

- Je voudrais connaître ton nom.

Elle resta alors là imperturbable, de cet air déterminé qui nous permettrait juste de dire qu'elle n'avait pas l'air naïf ... Le sien étant inscrit sur son badge de Kurosawa.

- Tu connais le mien, je voudrais connaître le tien.

Juste cela, et ça lui suffisait ... du moins, pour l'instant.